La fixation des prix de l’électricité en Europe, un système en crise à réformer d’urgence
Les craintes d’un rationnement énergétique en Europe au cours de cet hiver s’éloignent. En effet, les stocks de gaz atteignent près de 80 % des capacités totales, contre une moyenne historique de 65 %, et sont proches du point haut depuis 5 ans. Cet environnement, devenu rassurant en termes de sécurité énergétique, trouve son origine dans la baisse de 25 % de la demande actuellement (vs. 2022), conséquence d’un hiver peu rigoureux (records de chaleur fin 2022 et début janvier) et les mesures de sobriété. Une baisse également observée en Asie avec de faibles importations de GNL en Chine en raison de la politique zéro Covid.
Néanmoins, les températures de l’hiver 2023‑24 sont imprévisibles et la demande de GNL de la Chine devrait se raffermir rapidement suite à la réouverture de l’économie, alors que les approvisionnements en gaz russe se sont taris depuis juillet 2022 et que l’essentiel des nouvelles capacités de GNL dans le monde ne seront pas opérationnelles avant 2025‑26, après un point bas en 2023.
Ainsi, le prix spot du gaz en Europe (TTF), actuellement très bas autour de 60 €/MWh contre un plus haut de 279 €/MWh en août 2022, pourrait repartir à la hausse. Une telle situation conduirait à un retour de la forte volatilité des prix de l’électricité, ceux‑ci étant largement dépendants du prix du gaz, en raison de la structure actuelle du marché européen de l’électricité.
Dans cette perspective et compte tenu du risque économique et social d’une hyperinflation du coût de l’électricité, l’Europe a engagé une réforme du système de fixation des prix de l’électricité, visant à les décorréler du prix du gaz. Rappelons que l’été dernier, lorsque les prix de l’électricité sur les marchés libres atteignaient les plus hauts (471 €/MWh vs. 163 €/MWh actuellement et 80 €/MWh en août 2021), il était anticipé une hausse de 2 000 Mds€ de la facture des particuliers en Europe par rapport à 2021.
La Commission proposera une réforme d’ici fin mars 2023 et a lancé lundi 23 janvier une consultation publique jusqu’au 13 février. Comment le marché fonctionne‑t‑il et comment le réformer ?
De la dépendance du prix de l’électricité au prix du gaz sur les marchés libres...
Le coût complet d’un MWh d’électricité payé par les consommateurs en Europe est composé de l’addition : du coût marginal de production de l’électricité (50 % en moyenne du coût complet d’un MWh), du réseau haute tension (40 %), de la distribution et des taxes (10 %). Le coût marginal de production de l’électricité, qui détermine les prix sur les marchés libres (spots et forwards), dépend de la courbe du merit order (cf. ci‑dessous). Le merit order consiste à utiliser en premier les producteurs aux coûts marginaux les plus faibles jusqu’aux plus élevés, si la demande d’électricité est forte.
Comme illustré ci‑dessus, plus la consommation d’électricité sera élevée, plus la courbe de la demande se déplacera sur la droite et plus les capacités à coûts marginaux élevés seront sollicitées par le réseau. Et c’est le coût marginal de la dernière centrale thermique utilisée (généralement au gaz) pour répondre au dernier MWh appelé par le pic de demande qui détermine le prix de marché pour l’ensemble du parc de centrales en production, quelle que soit la structure des coûts marginaux (plus faibles) des capacités de production utilisées auparavant (renouvelables, nucléaire).
Compte tenu de ce système de fixation des prix de production de l’électricité, l’explosion du prix du gaz en raison de la guerre en Ukraine a entraîné une très forte hausse du coût marginal des centrales thermiques au gaz et ainsi une hyperinflation du prix de l’électricité sur les marchés libres. Celle‑ci a été répercutée sur la facture des consommateurs (sauf gel des tarifs pour les contrats régulés comme en France). Un tel engrenage risque de se reproduire à l’hiver 2023‑24 et lors de toute crise d’approvisionnement énergétique.
... À une détermination du prix de l’électricité selon les technologies de production
En raison de leurs coûts marginaux faibles (nucléaire) voire quasi nuls (renouvelables), ces capacités utilisées avant les centrales au gaz, selon le merit order, pour répondre à la demande, profitent ainsi d’une rente appelée infra‑marginale, que l’Europe a décidé de taxer pour subventionner les consommateurs en période de crise énergétique. Néanmoins, une réforme du système de fixation des prix de l’électricité est une voie plus pérenne à terme pour limiter la volatilité de la facture énergétique et protéger les populations ‑ notamment à revenus modestes ‑, les artisans et les entreprises.
Le projet consiste à découpler le prix de l’électricité du prix du gaz, afin qu’il reflète le parc électrique global et notamment le coût marginal inférieur de la production à partir d’énergies renouvelables. Plusieurs pistes sont évoquées par la Commission européenne, dont deux principales :
- Établir un prix fixe par MWh d’électricité produite, sous la forme de contrats privés à long terme (Power Price Agreement), que percevraient les producteurs d’énergies renouvelables, dont les coûts ne dépendent pas du prix du gaz. Ce système garantit d’une part une stabilité de revenus pour le producteur (réduisant le coût du capital) et d’autre part, permet aux consommateurs un accès à une énergie à coût faible et peu volatil. La Commission s’interroge sur l’application de ce système aux seules nouvelles capacités ou progressivement à une part plus large du parc de production.
- Mettre en place un système de Contract for Difference (CfD). Si le prix de l’électricité sur le marché libre est inférieur au prix du contrat, le producteur perçoit la différence qui sera payée par l’État membre. Si le prix de l’électricité sur le marché libre est supérieur au prix du contrat, le producteur ne profitera pas du gain (en le reversant à l’État membre), ce qui réduit sa rente infra‑marginale en période de flambée du prix du gaz par exemple.
Au total, compte tenu du poids de l’énergie dans le budget des ménages et de la structure des coûts des entreprises, notamment électro‑intensives, cette réforme sera essentielle pour contenir l’inflation et les risques de troubles sociaux en Europe, ainsi que la perte de compétitivité des industries, face aux concurrents américains qui profitent d’un prix du gaz actuellement 80 % inférieur.
Achevé de rédiger le 30 janvier 2023