L’Économie Sociale et Solidaire (ESS) désigne l’ensemble des organismes qui cherchent à concilier activité économique et forte utilité sociale ou environnementale. Les acteurs de l’ESS sont définis dans la loi Hamon de 2014 et regroupent les associations, coopératives, fondations, mutuelles ainsi que des entreprises commerciales à finalité sociale. Les structures de l’ESS peuvent donc prendre différentes formes juridiques, mais elles portent toutes un même objectif : apporter des solutions concrètes aux défis sociaux et environnementaux majeurs de notre société comme l’accès au logement et à l’emploi des publics vulnérables, l’inclusion des personnes en situation de handicap, la lutte contre l’illettrisme, le développement de l’agriculture biologique ... Pour se développer, elles ont besoin de financement, mais les circuits financiers classiques sont peu intéressés par ces investissements par définition moins rentables que d’autres. C’est dans ce contexte que s’est développée la finance solidaire qui permet d’apporter à ces structures les moyens financiers dont elles ont besoin. Pour comprendre comment la finance solidaire se décline au sein d’une société de gestion d’actifs, nous avons interrogé Philippe Poiré, responsable de la Finance Solidaire au sein de Crédit Mutuel Asset Management.
Quels types de fonds de placement répondent aux critères de la finance solidaire ?
Les fonds de finance solidaire sont de 2 types : les fonds dits « de partage » et les fonds dits « solidaires ».
Les fonds de partage reversent tout ou partie de leurs gains de placement et des frais de gestion perçus à des structures de l’ESS tandis que les fonds solidaires investissent tout ou partie de leurs encours dans ces structures. La plupart des fonds solidaires investissent jusqu’à 10 % de leur encours dans des structures solidaires, on parle alors de fonds 90/10, mais il existe également des fonds « purs solidaires » qui y investissent l’intégralité de leur encours.
Crédit Mutuel Asset Management gère plusieurs fonds solidaires 90/10 ainsi qu’un fonds pur solidaire, mais tous ont en commun une même philosophie d’investissement solidaire et un univers d’investissement solidaire centré sur deux thématiques majeures :
- La « réparation » vise à lutter contre toutes les formes d’exclusion et à répondre aux besoins primaires non satisfaits comme l’accès au logement, à l’éducation, à la santé, à l’emploi ... Dans nos choix d’investissement, la priorité est notamment donnée à la thématique de l’accès au logement, qui est, selon nous, le prérequis de base pour mettre fin au cercle vicieux de l’exclusion sociale. Nous finançons par exemple l’association Solidarité Nouvelle pour le Logement (SNL) qui acquiert et réhabilite des appartements en ville afin de permettre à des personnes en grande précarité d’accéder à un logement décent et à faible loyer. Mais nous finançons également des structures actives sur les autres thématiques comme Siel Bleu (la santé par l’accès à l’activité physique) ou Première Urgence Internationale.
- La « transformation » vise à financer des structures solidaires porteuses de projets innovants et contribuant au développement d’une économie plus équitable et au service des communautés et des territoires. Villages Vivants par exemple, achète et rénove des locaux dans des villages ou petites villes, pour y développer des activités à fort impact social, contribuant à redynamiser la vie locale et créer du lien social. Nous finançons aussi Terre de Liens qui acquiert des terres agricoles et accompagne des agriculteurs pour y installer des fermes en agriculture biologique.
Au-delà des thématiques citées précédemment, comment sélectionnez-vous les organismes dans lesquels les fonds solidaires vont investir ?
Avant toute chose, nous sélectionnons des organismes ayant reçu l’agrément ESUS (« Entreprises Solidaires d’Utilité Sociale » - loi Hamon 2014). Cet agrément délivré par les préfectures est accordé aux structures dont l’objectif principal est l’utilité sociale « en direction des publics ou de territoires vulnérables, ou en faveur de la préservation et du rétablissement de la cohésion sociale et territoriale, de l'éducation à la citoyenneté par l'éducation populaire, du développement durable et solidaire ou de la solidarité internationale ». Pour nous, en tant qu’investisseur, cet agrément est une garantie forte du niveau d’utilité sociale et environnementale de la structure, mais aussi de l’adhésion aux valeurs de l’ESS, notamment le principe de lucrativité limitée et de gestion démocratique.
Ensuite, nous réalisons une étude plus en profondeur de l’organisme ciblé. Nous analysons notamment le public visé, le nombre de personnes aidées et les moyens mis en place pour soutenir les bénéficiaires dans la durée. Par exemple, dans l’univers de l’accès au logement, nous nous intéressons à la façon dont les personnes, une fois logées, sont ensuite accompagnées pour une réinsertion sociale plus complète et dans le temps (accès à l’emploi, à la santé, à la formation, etc.). Par ailleurs, nous procédons à une analyse du modèle économique et de la viabilité financière de la structure solidaire, car il est important de garder en tête qu’il ne s’agit pas ici de philanthropie : le rôle des fonds solidaires est certes de financer des structures solidaires, mais ils ont également pour objectif d’assurer à l’épargnant une performance financière minimum.
Ces placements alliant solidarité et recherche de performance séduisent-ils les épargnants ?
En France, à fin 2022, l’ensemble des produits solidaires représentait 26 milliards d’euros (soit 0,45 % de l’épargne des ménages français), dont 15,3 milliards pour les fonds solidaires de l’épargne salariale. Cela peut paraître marginal, mais ces encours sont en forte progression puisqu’ils n’étaient que de 6 milliards d’euros en 2013.
Cette hausse a été portée par la volonté croissante des épargnants d’avoir une épargne utile et porteuse de sens ainsi que par la collecte de l’épargne salariale, dans le contexte règlementaire favorable des 20 dernières années qui a permis de créer des canaux de collecte puissants (loi Fabius de 2004, LME de 2008, loi Hamon de 2014, loi Pacte de 2019 ...).
Par ailleurs, des initiatives à l’échelon européen et international viennent renforcer la visibilité de l’ESS et soutenir la croissance des encours de finance solidaire. Au niveau européen, un plan d’action en faveur de l’ESS a été adopté en 2022 par la Commission européenne, proposant des mesures concrètes à mettre en œuvre par l’Union et les États membres pour favoriser l’ESSor de l’économie sociale. De leur côté, les Nations unies ont adopté en 2023 une résolution sur la promotion de l’ESS, assortie d’une feuille de route pour en soutenir le développement.
En tant qu’investisseur solidaire, nous avons aussi notre rôle à jouer. Accompagner les structures de l’ESS à consolider leur structuration de démarche de RSE ne pourra que contribuer à leur faciliter l’accès aux financements.
Achevé de rédiger le 2 avril 2024