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En tant qu'investisseurs, la journée mondiale de l'environnement (Word Environment Day) nous rappelle la dichotomie entre le développement durable et la viabilité économique. Alors que l'attention mondiale se concentre sur la nécessité toujours plus urgente de lutter contre le changement climatique, les mécanismes de tarification du carbone (CPMs)1 émergent comme un levier essentiel de la transition vers une économie bas carbone, comme en témoigne la décision prise plus tôt cette année par l'Union européenne d'élargir son système d'échange de quotas d'émission (ETS) pour y inclure le transport maritime2, et la décision prise l'an dernier de créer un ETS supplémentaire (« ETS2 ») pour traiter les émissions de CO2 provenant des combustions de carburants dans les bâtiments, le transport routier et d'autres secteurs. Ces changements significatifs soulignent l'importance croissante que la réglementation accorde aux émissions de carbone dans différents secteurs. Cette évolution, parallèlement à la poursuite de la tendance haussière des marchés du carbone nord-américains entraînée par des réexamens réglementaires plus stricts et des ajustements de l'offre, signale un tournant vers des mécanismes de tarification du carbone plus stricts à l'échelle mondiale et la nécessité pour les investisseurs d’en comprendre les implications financières.3

Tout d'abord, qu'est-ce que la tarification du carbone, quel est son objectif et comment fonctionne-t-elle ? La tarification du carbone réglementaire englobe des cadres politiques tels que les taxes sur le carbone et les systèmes de plafonnement et d'échange, conçus pour attribuer une valeur monétaire aux émissions de gaz à effet de serre. D'après la Banque mondiale, il existe actuellement 75 taxes sur le carbone et systèmes d'échange de quotas d'émission dans le monde, couvrant environ 24 % des émissions mondiales4. Ces mécanismes fonctionnent soit en fixant un prix direct sur les émissions de carbone soit en instaurant un plafond des émissions fondé sur le marché assorti de quotas négociables5. En internalisant les externalités liées aux émissions de carbone, la tarification du carbone crée fondamentalement des incitations économiques à la réduction des émissions et à l'innovation technologique. L'exemple susmentionné de l'extension du système d’échange de quotas d’émissions de l'Union européenne montre les conséquences financières concrètes pour les compagnies maritimes qui continuent de fonctionner comme par le passé : les entreprises du secteur6 doivent acheter ou céder des quotas d'émission de l'Union européenne pour chaque tonne de CO2 (ou équivalent de CO2)7, ce qui peut entraîner des coûts opérationnels plus élevés. Le coût de conformité devrait de manière générale être répercuté sur les clients finaux au travers de taux de fret plus élevés, ce qui pourrait affecter la compétitivité tarifaire de ces entreprises.

L'exposition des entreprises à la tarification du carbone varie grandement d'un secteur et d'une région à l'autre. En effet, la récente baisse des prix du carbone dans l'Union européenne, liée à l'offre excessive et à la baisse des émissions du secteur de l'électricité8, contraste avec la dynamique haussière du programme California-Québec de plafonnement et d'échange9, qui reflète l'interaction complexe des forces du marché dans les différentes régions. La volatilité des prix du carbone, influencée par des facteurs tels que les évolutions réglementaires et la dynamique du marché, peut avoir des impacts variables : Les entreprises opérant dans des secteurs à forte intensité de carbone, tels que l'énergie, le secteur manufacturier et le transport, sont confrontées à d'importantes implications en termes de coûts et à un risque d’échouage d’actifs physiques. Ces entreprises doivent faire face à la hausse des dépenses d'exploitation et aux éventuels coûts de conformité réglementaire, qui peuvent impacter les marges d'EBITDA et modifier la dynamique concurrentielle. Toutefois, les pionniers dans l'adoption de technologies moins émettrices, par exemple, l'adoption de carburants moins émetteurs tels que le gaz naturel liquéfié (GNL) ou l'installation de technologies économes en énergie comme les systèmes de lubrification d’air et les voiles à rotor dans le cas du secteur du transport maritime, devraient bénéficier d'incitations réglementaires et de réductions de coûts. Ces entreprises peuvent bénéficier d'avantages concurrentiels au-delà même de coûts de conformité réduits, tels qu'une meilleure position sur le marché et une meilleure réputation de marque.

En ce qui concerne les investisseurs, l'évaluation de l'exposition d'une entreprise à la tarification du carbone fait donc partie intégrante d'une gestion globale des risques et de l’optimisation du portefeuille. La capacité d'une entreprise émettrice à gérer efficacement la tarification du carbone, au moyen d'une allocation d'actifs stratégique, d'améliorations de l'efficacité opérationnelle et de bonnes pratiques environnementales, sociales et de gouvernance (ESG), devient un facteur clé de sa performance financière à long terme et de sa valorisation de marché. Un nombre important de grandes entreprises cotées prennent d’ores-et-déjà un prix interne du carbone en considération, souvent pour prendre des décisions d'investissement plus éclairées (même si lorsque les prix internes du carbone sont particulièrement bas, ils peuvent être perçus comme un outil marketing). Toutefois, trop peu d'entreprises proposent un business plan intégrant de manière exhaustive les impacts de l'évolution du prix du carbone. C'est pourquoi l'intégration de la tarification du carbone dans l'analyse des investissements nécessite une compréhension approfondie des environnements réglementaires, des impacts sectoriels et des stratégies d'entreprise10 du côté de l'investisseur, ce qui peut se traduire par les approches suivantes :

En plus de rester informés des évolutions réglementaires, l'intégration de scénarios de tarification du carbone dans les résultats, les flux de trésorerie et les mesures de valorisation des entreprises soumis aux stress tests - comme c'est de plus en plus le cas - revêt une importance croissante10. En outre, il est essentiel de garder à l'esprit que la volatilité susmentionnée des prix du carbone présente à la fois des risques et des opportunités : les investisseurs peuvent envisager de diversifier leurs expositions géographiques et sectorielles afin d'atténuer l'impact de la fluctuation des prix. Toutefois, la tarification du carbone peut également induire des inefficiences de marché dont les investisseurs avisés peuvent tirer parti : les investisseurs qui utilisent des contrats à terme et des options sur le carbone peuvent capitaliser sur ces fluctuations de prix pour générer de l'alpha11. En outre, les inefficiences dans la manière dont les entreprises sont valorisées sur la base de leur exposition au carbone peuvent présenter des opportunités d'investissement « value ». Les entreprises qui sont sous-évaluées en raison de la sous-estimation par le marché de leur capacité de gestion du carbone peuvent offrir des points d'entrée intéressants aux investisseurs. Enfin, la tarification du carbone est un domaine où l'intégration ESG et l'actionnariat actif revêtent une importance cruciale : en effet, comprendre les stratégies des entreprises dans lesquelles nous investissons, encourager la transparence dans le reporting des émissions de carbone et l'adoption de meilleures pratiques pour les réduire, contribue à créer un cadre plus complet pour identifier les facteurs de valeur.

Du point de vue des investisseurs, la journée mondiale de l'environnement et la question de la tarification du carbone ont en commun de nous rappeler à quel point la transition structurelle vers une économie bas carbone souligne la nécessité d'une allocation stratégique à long terme aux secteurs et aux entreprises alignés sur cette transition. Cela est également souligné par d'autres évolutions réglementaires récentes, telles que l'entrée en vigueur, en 2023, du règlement12 sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (EU’s Carbon Border Adjustment Mechanism (CBAM13) qui vise à instaurer des conditions équitables en matière de tarification du carbone pour les biens sensibles au commerce à haute intensité d’émissions. En intégrant les considérations de tarification du carbone dans les cadres d'investissement, les investisseurs peuvent non seulement en atténuer les risques mais aussi tirer parti des opportunités offertes par la transition. L'alignement sur les objectifs climatiques mondiaux ne devrait donc pas être simplement perçu comme une réponse aux pressions réglementaires, mais plutôt comme un impératif stratégique qui favorise la création de valeur à long terme.

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Achevé de rédiger le 27 mai 2024