Dans un monde touché par une épidémie d’obésité, le poids devient un sujet de société. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime à un milliard1 le nombre de personnes souffrant d’obésité dans le monde, soit 13 % de la population mondiale. Sur ce milliard, les États‑Unis comptent à eux seuls 110 millions2 d’adultes obèses et près de 15 millions d’enfants. Et les conséquences sont importantes. D’abord, sur la mortalité : le surpoids et l'obésité sont reconnus comme la cinquième cause de mortalité par l'OMS et entraînent le décès d'au moins 2,8 millions3 de personnes chaque année. Ensuite, sur l’économie : le Center for Disease Control évalue le coût financier de l’obésité à près de 147 Mds$ sur le seul système de santé américain.
L’arrivée sur le marché de nouveaux traitements « Glucagon‑like peptide 1 » (GLP‑1) pourrait faire évoluer la situation. Grâce à sa triple action sur le pancréas, l’estomac et le cerveau, les traitements type GLP‑1 stimulent le sentiment de satiété et conduisent à une diminution des apports énergétiques quotidiens de près de 20 %. Et les résultats obtenus sont assez spectaculaires : la prise de traitements GLP‑1 sur plus d’un an permet une perte de poids de près de 15 %4 chez des patients obèses et une réduction de près de 20 % des risques cardiovasculaires.
La prise de traitements type GLP‑1 permet également de réduire le pouvoir addictif de nombreuses substances comme le gras, le sucré ou encore le tabac. En recoupant les données de ses segments pharmacie et commerce alimentaire, le groupe de distribution Walmart a ainsi constaté chez les bénéficiaires des traitements une réduction de la taille du panier et une augmentation des dépenses d’articles santé et fitness, comme les tapis de yoga et les vêtements de sport. Un étude Barclays estime que 7 % de la population américaine, soit 24 millions de consommateurs, pourraient utiliser ce type de traitements d’ici 10 ans. L’adoption croissante des GLP‑1 pourrait inciter les industriels de l’agroalimentaire à améliorer la qualité nutritionnelle de leurs produits, ce qui profiterait in fine à l’ensemble de la population.
À court terme, la diffusion de cette nouvelle classe de médicaments pourrait être ralentie par le prix des traitements. À raison d’une injection par semaine au prix de 80 € en France5, le coût annuel par bénéficiaire pourrait atteindre jusqu’à 3 800 € en France et plus de 46 000 $ aux États‑Unis, soit un montant évalué entre 13,6 et 26,8 milliards de dollars pour le régime de santé américain Medicare. Si l’impact6 sur les systèmes de santé semble considérable, il reste inférieur au coût financier global de l’obésité. Face à ce constat, la plupart des pays ont entamé des négociations avec les laboratoires pour renégocier les prix des traitements à la baisse. En France, la Haute Autorité de Santé (HAS) s’est prononcée en faveur du remboursement des traitements chez l’adulte dont l’indice de masse corporel (IMC) est supérieur ou égal à 35. Toutefois, la prise en charge finale reste suspendue à la conclusion d’un accord définitif entre les laboratoires et les autorités françaises. Aux États‑Unis, ces traitements ne sont pas pris en charge à ce stade par Medicare, mais commencent à être remboursés par certaines assurances santé privées.
Dépassés par le succès, les industriels ont eu des difficultés à ajuster leurs capacités de production, occasionnant des ruptures de stocks à répétition. Cette pénurie s’est propagée progressivement à la version anti‑diabète du médicament, détournée de son usage à des fins de perte de poids. Une surveillance active du médicament a donc été mise en place en France par l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) afin d'éviter que le mésusage de ces antidiabétiques ne pénalise les personnes diabétiques. Autre conséquence directe, les laboratoires se sont retrouvés confrontés à une envolée des contrefaçons : l’Agence européenne des médicaments a ainsi averti avoir identifié chez certains grossistes des stylos préremplis faussement étiquetés comme des traitements de type GLP‑1.
On notera également que les traitements coupe‑faim ne sont pas sans risque sur la santé. Une étude épidémiologique publiée début octobre dans la revue scientifique Jama a établi un lien entre les traitements amaigrissants et les infections gastro‑intestinales sévères comme la pancréatite, l’obstruction intestinale ou encore la gastroparésie. Une autre étude publiée dans Diabete Care7 fait état d’un risque8 d’augmentation du cancer de la thyroïde. À cela s’ajoute d’autres effets indésirables certes sans danger, mais tout de même fréquents, comme les vomissements, la constipation ou encore la chute de cheveux. À plus long terme, compte tenu de la jeunesse des traitements, d’autres effets secondaires jusqu’alors inconnus pourraient apparaître. Pour perdre du poids ou changer ses habitudes de consommation, il faudra donc être motivé.
Achevé de rédiger le 7 novembre 2023