La dynamique d’inflation des deux côtes de l’Atlantique devrait ralentir mais rester marquée dans les prochains mois.
Entretien avec Arnaud Grimoult, gérant du fonds chez Crédit Mutuel Asset Management.
Les chiffres d’inflation ont continué à surprendre en ce
début d’année en Zone Euro. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Alors qu’un pic d’inflation était attendu pour la fin
d’année 2021, le taux d'inflation publié en Zone Euro a continué d’accélérer
pour le mois de Février. Ainsi, l’inflation totale s’est affichée à 5.8% en
glissement annuel en Février 2022 après 5.1% en Janvier, selon Eurostat, soit
un niveau jamais atteint depuis près de 25 ans. L’autre indicateur suivi pour
évaluer le caractère plus ou moins transitoire des variations est l’inflation
sous-jacente hors énergie et alimentation. Celle-ci atteint 2.9% en Février en
rythme annuel après un léger ralentissement qui avait été observé en Janvier à
2.4%, principalement en raison d’effets techniques (effets liés à la baisse de
la TVA allemande au S2 2020, décalage des dates de soldes en Janvier 2021 et
changements des poids des paniers de calcul de l’inflation). Ces niveaux soutenus
ont confirmé une diffusion large de l’inflation à l’ensemble de l’économie. La
flambée des prix de l’énergie contribue toujours pour environ la moitié de
l’inflation totale avec notamment en toile de fonds la crise énergétique du gaz
en Europe qui devrait perdurer voire s’accentuer en raison du conflit
Russie/Ukraine même si on s’attendait avant le conflit à une modération de sa
contribution à l’inflation à partir du 2ème trimestre avec notamment des effets
de bases négatifs importants (le prix du pétrole avait atteint des niveaux très
faibles au T2 2020). C’est surtout la poursuite de la diffusion des hausses de
prix à la production à l’ensemble de l’économie qui devrait continuer
d’accélérer dans les prochains mois. D’abord dans les secteurs des biens
durables et l’alimentation avec des hausses du prix des intrants directement
répercutés sur les prix de vente aux consommateurs. C’est ici principalement
les conséquences des perturbations des chaînes de production et de logistique
qui ont cours depuis la fin 2020 avec la réouverture des économies et la forte
demande qui en a suivi. On constate néanmoins des premiers signes de
normalisation avec certains acteurs du transport maritime qui signalent une
normalisation progressive en 2022 du coût du frêt ou des producteurs de
semi-conducteurs qui indiquent constater un début d’accalmie.
Dans les prochains mois, les hausses de prix dans le secteur
des services devraient prendre partiellement le relai des biens industriels et
devrait maintenir l’inflation dans les prochains mois sur des niveaux élevés
bien qu’en décélération. Les hausses de salaires restent cantonnées aujourd’hui
à certains segments d’activité mais nous surveillerons toute accélération qui
pourrait se matérialiser dans un contexte d’embellissement plus rapide que
prévu du marché de l’emploi en Zone Euro. L’impact sur les prix de vente et
donc l’inflation sera fortement dépendant du niveau de concurrence, des marges
des entreprises et du niveau de rigidité du marché du travail (beaucoup plus
forte en Z€ qu’aux US), ce qui nous fait exclure à ce stade tout scénario
d’emballement de boucle prix-salaires. Il faut également garder en tête que la
hausse des salaires négociés n'atteignait que 1,5% sur un an au T3 2021, soit son
plus bas niveau depuis 10 ans.
Qu’en est-il aux Etats-Unis ?
Aux Etats-Unis, nous observons les mêmes tendances mais avec
une ampleur beaucoup plus marquée. Ainsi, l’inflation a atteint 7.5% sur un an
en Janvier 2022 après avoir enregistré 7.0% en Décembre 2021, le chiffre le
plus élevé depuis Février 1982. L’inflation sous-jacente est également très
élevée à 6.0% après 5.5% en Décembre 2021. On notera tout de même quelques
différences notables avec tout d’abord la contribution très marquée de la
composante Logements qui représente quasiment 40% du panier de l’inflation
sous-jacente et qui devraient continuer à alimenter l’inflation dans les
prochains mois en reflétant avec un fort décalage dans le temps la hausse des
prix des logements de plus de 20% observés depuis 2020 aux Etats-Unis. Ensuite,
certains segments des biens industriels tels que les voitures d’occasion ont
été fortement volatiles et très influencés par la politique de relance
budgétaire américaine (avec des aides directes aux ménages) qui ont amplifié la
demande à un moment où l’offre ne parvenait pas à répondre à la demande. Enfin,
la dynamique des salaires est beaucoup plus forte aux Etats-Unis avec un niveau
de chômage qui a déjà retrouvé et dépassé les niveaux de 2019 et des
statistiques sur les hausses de salaires qui témoignent d’une diffusion
beaucoup plus large de celles-ci dans l’économie américaine.
Ces tendances inflationnistes vont-elles perdurer dans les
prochains mois et les prochaines années ?
Les prix de l’énergie devraient rester encore extrêmement
volatiles dans les prochains mois en raison du conflit Russie/Ukraine mais des
effets de base négatifs devraient limiter leur contribution à l’accélération de
l’inflation. L’impact sur l’inflation sur les prochains mois reste aujourd’hui
très incertain compte tenu des incertitudes sur la suite du conflit. Il est également
probable que les perturbations des chaînes d’approvisionnement se normalisent
en 2022 et permettent au déséquilibre entre offre et demande de se résorber
progressivement. Cela devrait permettre à l’inflation dans les biens
industriels de se modérer et de laisser la demande des consommateurs passer des
biens aux services. Nous devrions toutefois rester sur des niveaux d’inflations
soutenus bien au-delà des cibles des banques centrales à 2.0%. Nous surveillerons
également la dynamique des salaires qui guidera l’ampleur des tensions
inflationnistes. Il existe encore beaucoup d’incertitudes sur la trajectoire de
dynamique salariale même si à ce stade, nous n’envisageons pas un dérapage
inflationniste engendré par une boucle prix-salaires.
A moyen terme, nous pensons que l’inflation devrait revenir
sur des niveaux plus en ligne avec les cibles des banques centrales mais
légèrement plus élevés que ceux que l’on a connu dans la dernière décennie pour
plusieurs raisons. D’abord, les transformations profondes dans l’organisation
des économies mondiales suite à la crise pandémique avec de nombreux mouvements
de relocalisation devraient contribuer à alimenter l’inflation des deux côtes
de l’Atlantique. Ensuite, la BCE réfléchit à intégrer davantage de coûts liés
au logement dans le panier de calcul de l’inflation en Zone Euro, à l’image de
ce qui est déjà fait aux Etats-Unis. Enfin, du côté de l’énergie, outre le choc
actuel lié à la reprise économique et les tensions géopolitiques, la hausse des
prix de l'énergie, au moins en Europe, est également liée à des sous-investissements
dans le pétrole et le gaz. L'offre européenne d'énergie risque d'être
insuffisante, comparée aux besoins croissants (électrification des véhicules, etc.).
Les besoins d’investissement dans la transition climatique et le financement de
nouvelles capacités dans le renouvelable impliquent également des tensions
persistantes sur les prix de l'énergie qui pourraient également contribuer à
entretenir l’inflation.
Quel a été le comportement des anticipations de marché d’inflation
dans ce contexte ?
La forte accélération des chiffres d’inflation en Zone Euro
et aux Etats-Unis a contraint les banques centrales à adopter une rhétorique
beaucoup plus agressive sur leur rythme de normalisation de leurs politiques
monétaires. La FED a déjà communiqué sur un rythme de de hausses de ses taux
directeurs beaucoup plus rapide qu’anticipé initialement tandis que la BCE a
indiqué surveiller attentivement les perspectives d’inflation qu’elle reverra
d’ailleurs lors de sa réunion de Mars. Ces discours plus restrictifs ont
particulièrement pesé sur les anticipations d’inflation à long terme jusqu’à la
fin février qui n’ont pas pu bénéficier des surprises positives sur l’inflation
publiées en ce début d’année. C’est notamment le cas sur la maturité 10 ans où
l’on a observé des points morts qui n’avaient pas réussi à dépasser le niveau
des 2%. Le conflit Russie/Ukraine a entrainé une flambée des cours du pétrole
et du gaz ainsi qu’une forte remontée des points morts de long terme autour de
2.30% en Zone Euro et 2.70% aux Etats-Unis, soit des niveaux significativement
inférieurs à ceux observés sur les derniers glissements annuels.
A l’inverse, les anticipations d’inflation sur des échéances
courtes et moyen termes ont nettement bénéficié des publications de chiffres
d’inflation élevés, des risques haussiers à court terme sur l’inflation ainsi
que l’impact des tensions géopolitiques sur les prix de l’énergie. C’est
notamment le cas en Zone euro avec le point mort 2 ans qui a dépassé les 4%
pour atteindre 4.15% début Mars alors qu’il était encore sous les 2% à fin 2021
ou dans une moindre mesure sur le point 5 ans qui a lui aussi dépassé les 2.5%
pour atteindre un niveau proche des 2.70% à début Mars.
Dans ce contexte, quel est votre positionnement sur la
classe d’actif ?
Nous continuons à privilégier les obligations indexées sur
l’inflation de la Zone Euro dans nos allocations obligataires qui permettent à
la fois de se protéger d’une hausse de l’inflation réalisée (c’est-à-dire de
l’évolution des indices des prix à la consommation) mais aussi de profiter de
la hausse des anticipations d’inflation (en protégeant son portefeuille d’une
hausse plus rapide que prévu de l’inflation).
En termes de maturité, nous conservons une préférence pour
les obligations indexées à l’inflation de maturités courtes sur la zone 2 à 4
ans qui ont été et vont être soutenues par une très solide indexation à
l’inflation. En effet, nous connaissons depuis la fin de l’été une accélération
séquentielle d’un mois sur l’autre des IPC en Zone Euro qui devrait se
poursuivre au moins jusqu’au T1 2022 et offrir un effet portage important
jusqu’au T2 2022 à minima (en raison du décalage de 2 à 3 mois dans le mécanisme
d’indexation). Les obligations indexées courtes permettent également de jouer
un amortisseur contre l’escalade des tensions en Ukraine dans le contexte
actuel du fait de l’impact de la forte inflation énergétique sur les
anticipations d’inflations à court terme.
En termes d’indexation, nous marquons depuis la fin de
l’année 2021 une sous-exposition sur les OAT indexées sur l’inflation française
en faveur des OAT indexées sur l’inflation européenne compte tenu de l’approche
des élections françaises du printemps 2022 mais aussi d’un niveau d’inflation
en France qui se situe en deçà de la moyenne en Zone Euro.